4 novembre 2019 Pasteur à Venise : passeur d'histoire(s), laboratoire d'avenir
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Université foraine, hôtel à projets, lieu infini… Pasteur a fait du chemin depuis 2013, année du point d’interrogation sur l’avenir de ce bâtiment qui imprime sa silhouette magistrale dans l’imaginaire des Rennais depuis 1888. Il fait désormais pleinement partie de l’identité de la capitale bretonne en tant que lieu de brassage et de bouillonnement collectif où se dessine une partie de l’avenir de la métropole. 2018 fut en cela une « grande année », celle de la reconnaissance internationale, comme l’explique Sophie Ricard, architecte responsable du projet Pasteur aux côtés de Louis-Marie Belliard pour le compte de Territoires.

Présenté à la Biennale d’architecture de Venise, Pasteur figure parmi les « Dix lieux infinis » retenus par l’équipe d’Encore Heureux, commissaire du pavillon français et architecte en charge de la métamorphose de ce lieu passeur d’histoire et laboratoire d’avenir. Absence de programmation, gouvernance atypique, mobilisation et responsabilisation des citoyens… Comment définir la réussite de Pasteur ? Surtout, comment faire perdurer le brassage de populations et de projets dans ce bâtiment reconfiguré ? Comment essaimer sur un territoire métropolitain lui aussi en pleine mutation ?

 

Chacun y trouve un enjeu personnel tout en faisant culture commune

 

Entretien avec Sophie Ricard, architecte et coordonatrice de l'Hôtel Pasteur, et Philippe Le Ferrand, psychiatre responsable de l'unité mobile de psychiatrie au Centre hospitalier Guillaume Régnier

 

Sophie Ricard : En novembre 2017, nous avons appris que nous faisions partie des dix lieux retenus pour représenter la France à la Biennale d’architecture de Venise. C’était une excellente nouvelle, une reconnaissance. Faire acte d’architecture, c’est aussi repenser le patrimoine par l’expérimentation publique, réfléchir à la programmation d’un lieu non pas à partir d’un plan mais en associant et en responsabilisant les citoyens.

Aller voir une exposition d’architecture à Venise, cela présente peu d’intérêt. Mais Encore Heureux a proposé d’inviter ces "10 lieux infinis" à créer ensemble un 11e lieu à Venise. Nous avons passé une semaine ensemble en continu pour réfléchir à notre modèle de gouvernance, parce que le fonctionnement d’un lieu a lui aussi à voir avec l’architecture.

Pour intégrer la maîtrise d’usage dans la maîtrise d’ouvrage, les usagers des bâtiments doivent écrire son modèle économique, sa gouvernance, ses règles de fonctionnement.

 

Philippe Le Ferrand : Je suis responsable d’un service hospitalier qui lie les problèmes de santé mentale et de précarité. Nous sommes dans la ville bien plus que dans l’enceinte de l’hôpital. Notre mission est d’orienter les personnes en situation de précarité vers le soin dès que c’est nécessaire. C’est plus globalement d’améliorer le bien-être des gens. C’est un enjeu politique, au sens étymologique du terme.

Dans ce contexte, Pasteur nous a immédiatement intéressé. C’est un lieu neutre, pas un lieu psychiatrique, pas un lieu d’assistance sociale. C’est un lieu de rencontre, entre plusieurs mondes, entre l’institutionnel et l’informel, sur le fil du rasoir.

Le propre de la psychiatrie sociale, c’est de travailler en réseau avec des professionnels et des acteurs très divers. C’est le sujet de Pasteur. Nous y avons par exemple entamé un travail commun avec Breizh Insertion Sport.

À Venise, nous étions 40 Rennais, représentant tous des disciplines, des envies et des compétences diverses. J’ai proposé qu’on y écrive un manifeste pour donner corps au projet social, au projet politique qui était sur le point de naître. Le fait de passer une semaine ensemble nous a permis de nous confronter très concrètement à la notion de groupe, aux interactions entre un groupe et un lieu. Qu’est-ce qui nous permet d’être un collectif, de le rester tout en laissant la porte ouverte à de nouvelles personnes, de nouvelles idées, de nouveaux projets ?

 

Sophie Ricard : on a édicté les actes de Venise, qui sont la suite logique de la charte Pasteur. C’est un programme basé sur l’économie contributive, un nouveau contrat social avec la Ville de Rennes, le résultat d’un an de travail, soit toute l’année 2018, pour mettre en place un modèle économique, un règlement d’usage, un chantier culturel et social…

L’expérience de Venise a jeté les bases de la convention expérimentale qui nous lie à la Ville de Rennes. C’est ce qui nous permet dans cette année de chantier d’inclure des chantiers alternatifs et de préfigurer les « actions territoriales d’expérimentation ». C’est ensuite à la maîtrise d’ouvrage, via Territoires Publics, de les mettre en place et de les encadrer. Deux chantiers sont en cours actuellement : la restauration des paillasses des étudiants de la fac dentaire et la réalisation de la cuisine collective. Ce sont des chantiers dits de « remobilisation », qui s’appuient sur un grand nombre d’acteurs présents à Pasteur : le CCAS, le CEDAS, la Mission Locale, l’AFPA, le GRETA, l’équipe mobile précarité et psychiatrie, D’Ici d’ailleurs, Breizh Insertion Sport…

 

Philippe Le Ferrand : en parallèle, nous avons pu aussi construire un projet spécifique, sur la santé mentale. A l’issue de Venise et du manifeste, nous avons mis en place une nouvelle université foraine en créant un « master » libre, sauvage pourrait-on dire. Il propose à 30 étudiants, tous travailleurs sociaux, de se former à l’accompagnement psycho-social des personnes précaires. Depuis, la formation a été reconnue par le Conseil local de santé mentale et par la Ville de Rennes, qui permet à son personnel de suivre cette formation. Là encore, Pasteur a rempli son rôle de laboratoire de projets et de pratiques qui essaiment ensuite sur tout le territoire et qui alimentent tout un réseau d’acteurs.

Concernant les chantiers de remobilisation, ce réseau d’acteurs joue à plein. Nous sommes d’emblée dans une mise en pratique des connaissances acquises dans le cadre de l’université foraine. 

 

Sophie Ricard : Pasteur révèle selon moi la complexité avec laquelle il faut travailler quand on est maître d’ouvrage. La question est de savoir comment tous les chantiers engagés peuvent participer à l’émancipation, à la responsabilisation des citoyens. C’est là qu’on innove par rapport aux autres tiers lieux. Toutes les personnes qui prennent part au projet Pasteur y consacrent du temps et des compétences. C’est ce qui nous permet d’être deux fois moins cher en fonctionnement qu’un bâtiment accueillant du public dans un fonctionnement classique. En pratiquant au quotidien le bâtiment pendant 5 ans, nous avons fait une étude de faisabilité en acte. Le fait par exemple d’avoir vécu sans chauffage pendant 2 ans nous permet de faire d’importantes économies en conservant 2 zones hors-gel mais non isolées et non chauffées.
Grâce au réseau Pasteur, nous utilisons des équipements mobiles. C’est ce que nous appelons la contribution inter-lieux. Ce sont là encore des économies considérables par rapport à un équipement public disposant de ses propres équipements. 

Et c’est ce qui permettra de préserver l’âme du projet Pasteur, le fait que chacun puisse s’y sentir « chez soi » tout en participant à l’énergie collective. Chacun y trouve un enjeu personnel tout en faisant culture commune.

 

Philippe Le Ferrand : C’est un peu comme les bâtisseurs de cathédrale avant nous. Il y a une sorte de mystique du lieu infini… Pasteur appartient aux « ultra-lieux », pour reprendre une expression des Surréalistes. Ce ne sont pas des non-lieux, pas non plus des hauts lieux… Ce sont des lieux « à côté » mais où les gens trouvent leur compte. 

 

Sophie Ricard : notre bâtiment, c’est l’alibi d’un projet de mise en réseau, de renforcement de la vie sociale et politique locale. C’est pour cela que nous n’avions donné aucun espace précis aux intervenants. Tous étaient nomades, dans le bâtiment et dans la ville. C’est le non-programme mais aussi le caractère éphémère des acteurs qui prennent part au projet qui permet d’essaimer. A l’instar de la Belle Déchette, qui s’est installée à Pasteur avant de trouver des locaux plus pérennes.

A l’échelle d’une opération d’aménagement, c’est ce que traduit aujourd’hui la volonté de ne pas planifier sur le long terme et d’aller à la rencontre d’un maximum d’acteurs en amont puis pendant toute la durée de vie du projet. Le dispositif Pasteur pourrait être un témoin de ces nouvelles méthodes, à l’image de la démarche expérimentale « La Preuve par 7 » imaginée par Patrick Bouchain. Pour éviter que toutes ces expérimentations restent sous cloche, comment est-on est capable de faire jurisprudence. Ce sont des méthodes à expérimenter autant en renouvellement urbain que dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville ou dans les centres-bourgs, les lotissements de périphérie, les opérations d’extension, les projets d’équipements publics... Parce que c’est la meilleure façon d’y inscrire des sujets de société comme la place de la jeunesse, des populations seniors, de la précarité, de la mobilité…

L’idée n’est pas du tout celle de l’urbanisme transitoire. C’est d’ouvrir, d’expérimenter, de déroger aux normes avant de se projeter et de programmer, pour mieux répondre à un contexte, à des projets locaux, à un potentiel de mise en réseau d’acteurs.